La grande dame à l’origine du succès mondial de Lego visite la Belgique
Sara Riis-Carstensen. Ce nom ne vous dit sans doute pas grand-chose. Pourtant, c’est elle qui, au poste de Global Director of Brand Development, a fait de Lego la marque la plus puissante du monde. Le 22 novembre, elle sera à Anvers pour un keynote pendant le congrès Creative Ville organisé par Flanders DC. Elle a d’ores et déjà accepté de répondre à quelques questions.
Quel sera le thème de votre intervention à Creative Ville ?
Lorsque je suis entrée chez Lego en 2010, le branding était au point mort. Il n’y avait pas de stratégie de marque claire. Un constat incroyable pour une telle marque ! En quelques années seulement, nous avons complètement changé d’orientation, et l’image de marque a pris un rôle clé au sein de l’entreprise. Nos efforts ont été couronnés en 2017, lorsque Lego a été élu marque la plus puissante du monde.
D’où le titre de ma présentation : « Building a Brand. Brick by Brick ». Je montrerai comment on peut construire et pérenniser une marque performante. Après mon départ de chez Lego, j’ai appliqué la même stratégie pour le diamantaire De Beers, avant de devenir consultante indépendante.
Pour de nombreux marketers, le concept de branding est assez flou. Quels sont selon vous les éléments cruciaux d’une bonne stratégie de marque ?
C’est drôle ce que vous dites là, car je trouve en effet que pas mal de stratégies de marque sont on ne peut plus floues. Ce n’est pas ainsi que l’on construit une marque forte. Tout commence par la définition de ce que la marque est et de ce qu’elle n’est pas. Cela doit être le point de départ de tout ce que l’on entreprend.
La pire chose à faire, c’est de ne pas établir de priorités. J’aime citer l’exemple de Walmart. La multinationale a pour devise « Everyday low prices for consumer goods ». Sur ce point, elle va jusqu’à dépasser les attentes, mais le revers de la médaille est qu’elle n’offre qu’une piètre assistance à l’achat. Toutefois, cela n’a pas d’importance.
Si l’on veut évoluer du product marketing vers le brand marketing, il faut abandonner les avantages fonctionnels et rationnels au profit d’une approche émotionnelle. Les questions qu’il faut se poser alors sont : « Quel est le but de mon existence ? Pourquoi les consommateurs devraient-ils acheter mes produits ? »
Ensuite, on peut tenter d’élargir cette approche émotionnelle à d’autres groupes de produits. Si Cadbury ne produira jamais de poisson congelé, Porsche peut en revanche fabriquer des montres.
À ce propos, quelle a été l’importance du film d’animation « La Grande Aventure Lego » pour la marque ?
Le film a connu un vif succès dans de nombreux pays et a également eu un impact positif sur les ventes. Mais cette expérience m’a aussi appris qu’il ne fallait pas tout miser sur un seul outil marketing. En Chine, le film n’a pas été diffusé parce que la commission de censure l’a interdit. Or, il s’agit d’un marché très important pour Lego, qui y réalise un chiffre d’affaires élevé. Le film n’est donc pas le seul élément qui assure le succès.
Autrement dit, le branding est un parcours qui compte différentes phases. Il faut adapter la stratégie en fonction du marché. En Europe, Lego peut faire vibrer la corde de la nostalgie, ce qui n’est pas le cas en Asie, où les parents n’ont jamais joué avec le produit.
La marque doit toutefois veiller à connecter toutes les phases et les différentes actions. Pour ce faire, il faut exploiter les aspects qui entrent en jeu, quel que soit le marché. Le fait par exemple que tous les parents du monde veulent que leurs enfants soient heureux…
Qu’en est-il des marques numériques qui construisent une image sans dépenser un euro en publicité ? Qu’est-ce que les marques classiques peuvent apprendre d’elles et vice-versa ?
Ce que vous appelez les marques classiques sont des marques qui sont dans une logique de « pipeline business ». La chaîne de valeur est constituée de phases. Ces marques diffèrent de ce que j’appelle les marques de plateformes parce que ces dernières fonctionnent de manière itérative. Il ne s’agit pas d’un processus dans lequel une phase précède nécessairement la suivante.
L’exemple d’Apple est intéressant dans ce contexte. L’entreprise a évolué d’un pipeline business – la production de l’iPhone – vers une plateforme – l’App Store et iTunes.
Dans ce deuxième cas, il ne s’agit plus seulement de créer des messages, mais de faire en sorte que les consommateurs transmettent eux-mêmes ceux-ci. La co-création joue un rôle essentiel chez Lego. Grâce à Lego Ideas, les gens peuvent poster des idées de nouveaux produits et inciter les internautes à voter pour leur projet. Les créateurs qui récoltent plus de 10.000 votes ont des chances de voir leur idée se convertir un produit réel…
Ce que ces plateformes peuvent apprendre du pipeline business ? S’il est possible aujourd’hui de construire très rapidement une marque, celle-ci peut disparaître tout aussi vite. Les plateformes ont donc intérêt à s’inspirer des acteurs classiques pour voir comment garantir la pérennité d’une marque.
Sara Riis-Carstensen vient parler au Creative Ville le 22/11