Trendwatcher Herman Konings: « La vitesse à laquelle tout change… change »
Il est bien connu que la technologie entraîne un profond bouleversement. Nous risquons toutefois de passer à côté d’autres éléments qui contribuent à la disruption que nous vivons. Le psychologue et observateur de tendances Herman Konings est bien placé pour nous esquisser ‘the bigger picture’. « Il y a plus que la technologie qui fait changer le monde. »
Trouvez-vous aussi que nous vivons à une époque disruptive ?
« Il est en effet impossible de le nier. Remarquez, avant aussi on a connu de telles périodes. J’estime qu’il faudra environ dix ans avant que la voiture autonome ne soit devenue un lieu commun auprès de larges couches de la population. C’est exactement le temps qu’il a fallu pour passer du cheval et de la charrette à l’automobile. À mes yeux, l’évolution que l’on connaît aujourd’hui est toutefois plus disruptive. Les technologies nous surprennent. Et tout se fait toujours plus vite. La vitesse à laquelle tout change… change. Ainsi, la loi de Moore (qui étaye ce point, ndlr.) n’a jamais été aussi actuelle.
Je ne pense cependant pas que la technologie résolve comme ça tous les problèmes. Malgré quinze années de nouveautés technologiques, nous sommes actuellement confrontés à un nombre record de files, de burn-outs et de malades. En outre, la technologie entraîne aussi une série d’inconvénients. Les gourous ont beau clamer que qui dit robotique ne dit pas nécessairement pertes d’emploi, mais allez dire ça à un ouvrier de 55 ans qui travaille à la chaîne. L’intelligence artificielle est une condition indispensable de civilisation humaine, du moins lorsqu’il s’agit d’apporter des solutions conformes à la dignité humaine et planétaire : par exemple, la lutte plus rapide, moins onéreuse et plus efficace contre le cancer, ou la prévention d’accidents impliquant des véhicules motorisés… Comme c’est toutefois souvent le cas lorsqu’on aspire à atteindre le pallier de civilisation suivant, ici aussi on peut s’attendre à beaucoup de dommages collatéraux. De nombreuses gens devront se réorienter et cela ne leur plaira pas... »
Ne souhaite-t-on pas aussi échapper à la technologie ?
« C’est la première loi économique et elle s’applique aussi ici : ce qui est rare acquiert de la valeur. C’est presqu’un réflexe physique. Ce n’est donc pas un hasard si les screenagers, qui sont toujours connectés, ont la nostalgie de l’analogue. Ce sont justement les milléniaux qui possèdent le plus de tourne-disques. Ce sont eux, justement, qui deviennent barista ou sillonnent la ville avec un food truck. Une récente étude révèle que les gens ne sont pas du tout fans du travail à domicile. Ils aiment les contacts sociaux et préfèrent donc le bureau ou un espace de travail collaboratif. »
Que pensez-vous de marques qui naissent en cette époque disruptive et évincent du marché des marques traditionnelles ?
« Je ne suis pas convaincu que des marques comme Uber, Airbnb et Booking.com feront long feu. Contrairement aux acteurs vraiment importants, ce ne sont pas des ‘giga-systèmes’, mais ces marques jouissent d’une bonne notoriété de marque. Elles se heurtent à beaucoup de réticence. Pas seulement de la part des pouvoirs publics, mais aussi des clients. Les attentes du consommateur sont particulièrement élevées. Si l’on échoue, il décrochera très rapidement. Dans ce sens, il faut espérer pour Tesla que les problèmes de production de la Model 3 seront rapidement résolus. »
On constate qu’aujourd’hui, la concurrence peut venir de partout. À Milan, le constructeur automobile Mini a lancé un projet de logement, fondé sur ses connaissances en matière ‘d’espaces’. Un nouveau concurrent ne doit toutefois pas nécessairement mettre hors-jeu un acteur traditionnel. La venue d’Airbnb n’a pas entraîné de pertes de revenus dans le secteur hôtelier. Cela vient tout simplement s’ajouter. »