Comment et pourquoi votre marque est-elle née?
Michel : le hasard et trois principes
"Augustin et moi étions des potes de lycée. On a chacun eu des vies nomades de potes, comme tout le monde. On s'est retrouvé sur un projet précis, celui de publier un guide des meilleures boulangeries de Paris. Une première association ne visant aucun projet économique précis, juste une démarche d'amateurs de pain de qualité. Et puis de fil en aiguille, on en est arrivés à produire nos premiers biscuits. Le but de cette marque, son point de départ, c'était de donner un grand coup de pied dans la fourmillière alimentaire. Et de nous axer sur trois éléments basiques: offrir avant tout le goût, qui soit le plus naturel, et avec le sourire. Nous n'avons pas une vision de l'alimentation culpabilisante. Rétrospectivement, nous avons eu de l'intuition ou de la chance, tant ce principe de naturalité et de méfiance envers les listes d'ingrédients interminables et incompréhensibles s'est imposé aujourd'hui comme une tendance majeure."
Agnès : la simplicité de la nature et le sourire de la voisine
"Tout est parti aussi d'un hasard, une fête d'anniversaire organisée pour ma fille de 10 ans, dans notre maison en Corrèze. Je ne voulais pas servir de sodas classiques, très sucrés, ni non plus l'alternative traditionnelle que forment les jus de fruits, tout aussi sucrés. J'ai donc créé ma propre limonade, composée d'eau, de jus de fruits, de légumes fraîchement pressés et de plantes. Ma première consommatrice fut ma voisine, une agricultrice octogénaire française débordant d'énergie et de bonne humeur. C'est elle, la Simone, de Simone a soif! Notre marque est d'abord née d'une volonté de se faire plaisir, mais avec un produit simple et 100% naturel, sans sucre ajouté ni édulcorant, ni d'ailleurs autre composant quelconque."
Alexis : coopérer pour agir
"Nous sommes essentiellement partis de convictions fortes. Oserais-je dire que nous voulons un monde meilleur?", intervient Alexis avec un sourire qui retire aussitôt au propos toute prétention. "Il se trouve que le commerce est dépositaire d'une série de dérives du monde moderne et de notre mode de vie. Le pari, c'est de trouver les moyens de rapprocher le consommateur du producteur. Le monde va plutôt mal, il va dans le mur, et nous ne sommes pas du tout certain que la meilleure façon de l'éviter soit de verser dans le tout technologique. Notre façon de chercher des solutions, c'est la coopération. Nous avons été soutenus par des investisseurs, mais en gros, ce qu'on fait avec le projet LITA (Live - Impact - Trust - Act), c'est du crowdfunding."
L'accès au marché et la distribution
Michel: du luxe au populaire
"En France, notre marque est partie du très haut de gamme, avec des points de vente parisien tels que Colette ou La Grande Epicerie du Bon Marché, pour arriver progressivement à une distribution plus large et accessible, conformément à notre voeu d'être une marque de qualité mais populaire. D'autres marques peuvent régler le curseur de façon différente pour protéger leur positionnement perçu: c'est par exemple le cas de Kusmi Tea, qui ne veut pas se retrouver en grande distribution, "en-dessous" d'une enseigne urbaine un peu chic comme Monoprix. J'ajoute aussi que notre chance, à l'époque de nos débuts, c'est que nous avons misé sur le commerce de proximité, qui était en plein essor."
"Evidemment, quand vous grandissez et que votre distribution s'étend, les contraintes ne sont plus les mêmes. Vous vous retrouvez parfois dans un vrai combat face à de grosses cylindrées, dont le métier est de bien acheter pour bien vendre. Autant il est facile de rester fidèle à ses valeurs et à la qualité de ses produits, autant il est malaisé de maintenir dans la relation commerciale une vraie spécificité. Nous cherchons à maintenir cette différence. Si nous prévoyons des animations commerciales en point de vente, elles seront plus surprenantes, décalées, parce que notre marque ne s'adresse pas de façon classique au consommateur. Il est en revanche certain qu'en mass market, tout l'effort de négociation de votre interlocuteur est précisément de vous mettre au même niveau que tous les fournisseurs. "
Agnès, Antoine et Alexandre: grandir, mais comment ?
"C'est tout l'enjeu qui nous occupe aujourd'hui. Grandir impose des contraintes et des choix, qu'il faut bien peser. Notre production n'est pas standardisée comme c'est le cas pour un transformateur industriel. Elle est résolument basée sur une filière locale de pommes bio. Ce qui pose un problème particulier cette année, où 80% de la récolte a été détruite par les événements climatiques. Pour chaque production, nous travaillons à la façon d'un vinificateur qui réalise son assemblage. Nous sommes très impliqués dans ce travail, même s'il ne se fait pas dans nos propres ateliers. Le premier challenge, c'est celui d'améliorer notre structure de coûts sans perdre notre âme. Le second, c'est d'améliorer notre notoriété et capitaliser sur l'acquis sur les marchés où nous sommes déjà présents, au Benelux. Mais lorsqu'il s'agit de se tourner vers un nouveau marché tel que la France, ce sont des questions plus fondamentales qui se posent. Quelle est la meilleure stratégie? Travailler en direct ou via des agents distributeurs? Faut-il se concentrer sur le canal de distribution bio, en plein essor en France? Ou bien faut-il au contraire ne pas se limiter à ce seul univers?"
Derrière la marque, une filière
Michel: grandir avec ses partenaires
"50% de notre business se fait avec des partenaires en aval avec lesquels nous collaborons depuis 9 ans ou davantage. Autant dire que nous leur avons aussi apporté un modèle de croissance incroyable. Une vraie relation s'est construite, qu'on n'a pas envie de jeter par-dessus bord par caprice, pour gratter un centime. Ce n'est pourtant pas toujours facile ni rose tous les jours. Quand vous tenez à faire des produits gourmands, avec de vrais ingrédients de qualité, et que le prix du kilo de beurre passe de 3 à 7 euros, tout le monde est sous pression."
Agnès, Antoine et Alexandre: s'intégrer au terroir local
Notre mode de production est profilé sur l'ancrage local et le lien aux producteurs. Il est donc certain que l'hypothèse que nous privilégions, si Simone a soif! devait demain s'étendre et se développer dans un important marché étranger comme la France, serait de répliquer sur place un partenariat avec des partenaires locaux."
Face aux critiques
Entreprendre, c'est aussi s'exposer à la critique. Nos jeunes marques en ont-elles fait l'expérience?
Michel: l'arrivée du géant Danone au capital de Michel et Augustin fait-il désormais de celle-ci une marque comme les autres?
"On n'aime pas trop le mot "intégration". C'est sûr que si demain, le groupe souhaitait tout concentrer en un seul siège, avec un bâtiment Activia, un bâtiment Actimel et un bâtiment Michel et Augustin, notre marque serait aussitôt morte. Nous sommes un peu un village gaulois atypique au cour du groupe. Nos locaux sont séparés, nous n'avons rien changé à notre façon d'être ni de produire. L'actionnaire Danone a remplacé l'actionnaire Pinault. Mais ce n'est pas un détail, parce que c'est décisif à l'export. Aujourd'hui, nous sommes surtout actifs sur la France, puis sur la Belgique, la Suisse et les Etats-Unis. Dans les 17 autres pays, nous sommes timidement présents à travers des distributeurs. Si demain, nous voulons nous ouvrir un marché, comme le marché chinois, c'est impossible de le faire sans l'appui et l'expertise d'un groupe comme Danone, qui en maîtrise parfaitement les codes."
Agnès, Antoine et Alexandre: ne pas s'enfermer
"Le reproche que nous voulons éviter, c'est d'être une marque pour "happy few", qui limite son audience à un public très étroit. Cette qualité, nous voulons qu'elle soit accessible au plus grand nombre. Mais pour autant, nous ne voulons pas renier nos principes et devenir un transformateur de masse comme les autres. La difficulté qu'on rencontre aujourd'hui, c'est celles des exclusivités implicites qu'on nous réclame. Nous aimerions bien vendre vos boissons dans notre point de vente, mais n'avons aucune envie que vous soyez aussi présents chez tel magasin concurrent. Comment réagir, quand on est une toute jeune marque?"
Alexis: bio moderne ou bio militant?
"Le bio, c'est d'abord une philosophie, bien avant que celle-ci ne se traduise dans une filière et des produits. Cette philosophie a longtemps germé à partir d'une clientèle militante, très puriste. Or, notre volonté est certainement de moderniser l'image du bio, et de sortir cet univers des clichés. Cela rend les choses un peu plus difficiles, parce que cette volonté-là est perçue comme une dérive par le public militant. On ne les ignore pas, c'est important qu'il y ait débat, que la critique s'exprime. Mais il faut aussi abandonner l'ambition de vouloir plaire à tout le monde. Il faut poser des choix."