La robustesse : la nature inspire le marketing de demain
Cet article s'inscrit dans le cadre du projet « Road to 2030 », avec lequel BAM vise à aider les marketers belges à adapter leur approche marketing aux évolutions qui caractérisent notre profession et notre société, tout en gardant à l'esprit que 2030, c'est demain.
Dans le cadre du Think Tank Sustainability de BAM, nous avons eu l’occasion d’interviewer longuement Olivier Hamant, un des grands penseurs actuels de la ‘durabilité’ sur les rapports entre celle-ci et le marketing. Une conversation passionnante et ouvrant des voies nouvelles au rôle du marketing et du CMO au sein de la nécessaire transition de nos sociétés.
Ne voyez-vous pas que le monde est fluctuant !
Selon Olivier Hamant, pour faire face aux défis actuels qu’ils soient de l'ordre planétaire ou économique, il n’y a qu’une seule option: s’inspirer de la nature et remplacer le culte de la performance par la notion de robustesse.
Mais qu’est-ce que cela veut dire?
En cherchant à maximiser la performance à tout prix, les systèmes humains deviennent paradoxalement plus fragiles, incapables de résister aux chocs d’un environnement social, environnemental ou économique de plus en plus fluctuant. La dépendance au gaz russe ou encore la paralysie du système logistique mondial causée par un seul navire bloquant le canal de Suez en sont des exemples frappants. Le bouleversement rapide des équilibres géopolitiques suivant l’élection de Donald Trump montrent à souhait à quel point les ordres établis peuvent basculer en quelques semaines.
À l'inverse, la nature, peu performante, mais robuste, nous enseigne à trouver un nouvel équilibre. Après tout, une feuille est moins performante qu’un panneau solaire pour capter l’énergie, mais elle est robuste : elle encaisse les chocs extérieurs et s’adapte. Et soyons conscient que si la nature avait voulu parfaire la photosynthèse, elle y serait arrivée au travers du temps. Mais elle a préféré suivre un autre objectif. Pour Olivier Hamant, le marketing peut s’inspirer de cette résilience naturelle pour construire des systèmes économiques capables de créer de la valeur tout en performant dans la longueur du temps.
Cette leçon tirée de la nature devient essentielle dans un monde où les ressources sont limitées et les fluctuations nombreuses. Cela impose une redéfinition du marketing pour qu’il s’adapte à ces nouvelles réalités. En effet, le marketing des années 80 était conçu pour un monde stable et abondant en ressources. Mais face à la réalité du monde d'aujourd’hui, il faut penser différemment et adopter ce principe de rééquilibrer performance et robustesse. L'agroécologie le démontre bien : coûteuse à court terme, mais plus robuste et pérenne sur le long terme.
Enchantons le risque, ringardisons la performance
Dans le monde de la performance, réussir c’est être supérieur aux autres et le risque est perçu comme une menace. Dans un monde robuste, réussir signifie se dépasser grâce aux autres, et transformer les risques et les crises en opportunités. C'est quelque chose qu'on a pu voir lorsque la crise du COVID-19 a accéléré la mobilité douce dans les villes qui étaient prêtes à adopter ce modèle.
Olivier Hamant propose pour le marketing un narratif alternatif et enthousiasmant, où la robustesse valorise l’adaptation, la transmission et la durabilité. À l’inverse, les modèles basés uniquement sur la performance apparaissent désormais obsolètes, déconnectés des enjeux actuels. C'est le cas de l’agriculture intensive, dépendante d’intrants extérieurs, et même des projets de colonisation martienne, symboles de fuite face à notre planète pourtant formidable et vivante.
Oubliez l'offre et la demande – pensez besoin et ressources
Le marketing traditionnel s’occupe de gérer la relation entre offre et demande. Or, pour le vivant, ce n’est pas d’offre et de demande qu’il s’agit mais de besoin et ressource. Quand on est dans l’offre et la demande, on oublie le lien à la terre et la notion de ressources limitée.
Le problème; c’est que le système économique humain ne s’autorégule pas et n’a pas de mécanismes limitants. A l’inverse, une plante ne peut pousser à l’infini. Elle est limitée dans sa croissance par des raisons internes (par exemple, la cellulose qui se rigidifie en croissant), mais aussi externes (par exemple le vent). Certes, il existe dans l’activité humaine certains contrats sociaux, certains quotas. Mais ils ne sont pas automatiques.
La nature est donc rarement en croissance exponentielle. Elle oscille entre phases de croissance et des phases de régulation, permettant au système de s’adapter et de muter tout en gardant un équilibre et une notion de durabilité. En s’en inspirant, le rôle du marketing est donc d’accompagner les périodes de transition pour créer des modèles en équilibre et plus durables.
Les jeunes ne sont pas assez matérialistes
Olivier Hamant met en lumière un paradoxe : les jeunes générations ne sont plus assez ‘matérialistes’. Pardon? Plus de matériel? Surprenant!
Revenons au sens originel du terme. Le mot ‘matière’, dérivé de mater (mère), fait référence à la terre nourricière, symbole de notre lien au tangible. La réalité est que, en perdant ce rapport direct à la matière, nous perdons notre capacité à valoriser les ressources. Nous ne voyons plus le téléphone mais ce qu’il représente ou permet de faire.
Recréer ce lien avec le matériel et le valoriser est essentiel pour construire un avenir durable. Pour le marketing, cela pourrait passer par des modèles alternatifs, comme le ‘low tech’ (que Olivier Hamant défini comme du ‘high tech’ pas paresseux) transformé en source de fierté, nourrissant la joie et le désir de réparer, de transmettre et de partager.
La sobriété: pas une bonne stratégie
Tout le monde est d’accord sur l’objectif, dans un monde fini on ne peut continuer à produire et consommer plus de ressources matérielles. Mais dans le monde de la performance on traduit la sobriété essentiellement par de l’efficience. Or celle-ci amène des effets rebond. On va réussir à produire avec moins de ressources et on va consacrer les moyens libérés à produire et consommer autre chose. Finalement, on n’aura rien gagné.
Il faut arriver à la sobriété mais il faut passer par la robustesse. C’est une méthode pour y arriver. Si c’est robuste ça veut dire que je suis capable de maintenir une activité dans le long terme et de la transmettre, cela va donc de-facto induire une forme de sobriété.
Sur le narratif, la robustesse est aussi plus porteuse, comme il s’agit de durer et de transmettre, ça parle à tout le monde. Ça joue sur deux motivations existentielles. La sobriété, elle, ne répond pas à une pulsion humaine profonde.
Le CMO: un leader poseur de questions
Dans un monde robuste, le leadership évolue. Le leader ne dit plus « Je veux et je sais comment faire », mais « J’ai envie et je ne sais pas encore comment faire ». Il devient facilitateur et créateur d’un collectif.
Pour le CMO, cela signifie faciliter la collaboration en posant les bonnes questions plutôt que d’apporter des solutions. Il doit guider les équipes pour anticiper les fluctuations, non pas en prévoyant l’avenir, mais en s’y préparant.
Une crise est un moment où on déraille, mais c’est toujours une opportunité. Dans le monde fluctuant qu’est devenu le nôtre, il ne s’agit pas de fuir les crises, mais de les transformer en opportunités de changement. Travailler sur sa robustesse c’est être prêt à affronter les fluctuations du système et à s’en servir pour amener des changements positifs.
Les 3 conseils d’Olivier aux marketers belges
On répare son toit quand il fait beau. On est entre deux crises, basculer de la performance à la robustesse, c’est maintenant !
C’est la marge qui tient la page. Observez les entreprises qui sont ‘à la marge’ et expérimentent des nouveaux modèles d'affaires comme l’agroécologie ou le tout réparable.
Amenez de la joie, du désir et du plaisir – sortez de la culpabilité ! Misez sur des récits qui inspirent la joie et le désir tout en valorisant des solutions durables et collaboratives.
A propos d’Olivier Hamant
Olivier Hamant est biologiste de formation et il dirige actuellement l’Institut Michel Serres de Lyon. Il est l’Auteur de « La troisième voie du vivant » ouvrage qui oppose le principe de robustesse à celui de performance. A travers ses prises de parole publiques et ses conférences, il est un des penseurs les plus influents dans le domaine de la transition.
Pour lui, la Belgique, c’est…
- une bonne dose d'autodérision qui ouvre l’esprit ;
- Gaston Lagaffe, son philosophe favori ; et
- le pays où son concept de la robustesse est le plus avancé…
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