Le Mondrian du marketing : que peuvent apprendre les artistes aux marketers ?
Ce serait un euphémisme d’affirmer que l’ouvrage « De Mondriaan van Marketing » est une source d’inspiration pour le secteur. L’artiste et stratège créative Lisa van Noorden, qui signe l’ouvrage élu Marketing Book of the Month en septembre, nous offre un précieux guide pratique tout en enrichissant la littérature marketing d’une perspective inédite. « La structuration du processus créatif constitue sans nul doute le plus grand défi auquel les professionnels sont confrontés. »
« Enracinée dans les arts, dotée d’un sens aigu de la stratégie et animée par la créativité. » Voilà comment Lisa van Noorden se présente en tant que formatrice et consultante offrant ses services sous la dénomination Versdenkers. Dans son ouvrage « De Mondriaan van Marketing », elle rassemble tout ce qu’elle a appris au fil des années. Nous nous sommes entretenus avec elle sur ses motivations et sa vision du marketing.
Vous conseillez aux marketers de s’inspirer non seulement du travail de leurs pairs, mais aussi et surtout du processus créatif des artistes. Que peuvent-ils en apprendre exactement ?
« Le marketing commercial est très axé sur la vente de produits et l’obtention de résultats. C’est important, mais on oublie que l’objectif de la communication est aussi – et surtout – d’évoquer une expérience chez les gens, de créer une perception. Or, c’est précisément ce que font les artistes. Ils cherchent à susciter des émotions et à avoir la plus forte résonance possible auprès du public. Plutôt que l’objectif, ils privilégient la pensée autonome et le processus créatif. Voilà une démarche qui peut s’avérer très inspirante pour le monde du marketing. »
En même temps, les marketers veulent construire une identité de marque claire. Une tâche qui présente également des similitudes avec le travail des artistes et leur quête d’un style bien à eux…
« Absolument. Les artistes existent par la grâce de leur langage tout à fait singulier. Essentiel dans ce processus est la réflexion, le fait de s’interroger constamment sur son identité, sur ce que l’on veut exprimer et pourquoi. Les marketers peuvent également tirer de nombreux enseignements de ce processus s’ils veulent aboutir à une personnalité de marque qui résonne. »
Pour vous, quels sont les grands modèles dans le domaine des arts – en dehors de Piet Mondrian ?
« Je commence chaque chapitre du livre par une référence à un artiste, en guise d’illustration du thème qui va être traité. C’est bien la preuve qu’il y a beaucoup d’inspiration à glaner dans ce monde. Mondrian, l’un des premiers artistes à avoir adopté une approche conceptuelle du monde physique, arrive bien sûr en tête, car c’était un véritable penseur conceptuel.
J’aime aussi faire référence à Banksy, qui est capable d’évoquer des émotions comme aucune autre pour mettre en lumière des thèmes sociaux très importants. Grayson Perry est une autre figure intéressante. Il aborde toutes sortes de sujets de société avec beaucoup d’humour. À vrai dire, presque tous les artistes s’efforcent de trouver la forme adéquate pour transmettre un message aux gens, toucher et inspirer leur public. »
Le livre semble être la cerise sur le gâteau de votre longue trajectoire de consultante et formatrice, parallèlement à vos activités artistiques. Comment vous est venue l’idée de faire le lient entre les arts et la communication de marque ?
« Après mes études d’art, j’ai vite commencé à travailler comme artiste et illustratrice. Une dizaine d’années plus tard, j’ai décidé de suivre une formation de designer d’interaction, un domaine qui couvre des aspects tels que la conception de l’expérience utilisateur et le design de marque en ligne. Dans ce cadre, j’ai eu la chance de faire un stage dans plusieurs grandes entreprises. C’est alors que j’ai pris conscience, pendant les séances de brainstorming, que l’on mettait unilatéralement l’accent sur la vente d’un produit. À chaque fois, on décidait sans trop réfléchir de développer une affiche, une application ou un nouveau site web. Quand je posais la question : "Mais quelle expérience voulons-nous procurer aux gens ?", on me regardait avec de grands yeux. Du coup, je me suis dit qu’il serait utile et fascinant d’introduire ce mode de pensée, plus autonome, dans la communication commerciale. »
« De Mondriaan van Marketing » est-il un manuel de communication visuelle, pour des domaines tels que la stratégie de marque et la conception de produits, ou plutôt un ouvrage offrant une vision très large du marketing ?
« Bien que le cas décrit dans le livre concerne la sensibilisation et l’activation, je pense que l’on peut parfaitement appliquer l’approche et la structure à toutes sortes de formes de communication. Pour moi, la façon dont on gère un tel processus créatif est universelle. Pendant toutes ces années, j’ai remarqué que la structuration de ce processus est le plus grand défi auquel les professionnels sont confrontés. Nombreux sont ceux qui trouvent que le passage du briefing au résultat est assez périlleux. »
Traduire des objectifs ou des stratégies marketing abstraits en concepts créatifs concrets, puis en réalisations, voilà qui semble bien difficile, en effet. Comment les marques peuvent-elles éviter que des idées floues ne soient pas suffisamment alignées sur les objectifs fixés ?
« Il est essentiel que chaque idée créative découle de considérations stratégiques. C’est précisément la raison pour laquelle ma stratégie "focus-flow-form" peut être un guide précieux. On décrit d’abord la stratégie, en observant ce qui vit autour d’un thème particulier et en y associant une vision de communicateur. Ensuite, il s’agit de trouver une façon distinctive de transmettre le message.
La clé est de toujours confronter les idées créatives qui émergent à la vision. Forment-elles une ligne droite – la fameuse ligne droite de Mondrian – avec la stratégie, et mènent-elles ensuite en ligne droite vers la bonne forme ? Si l’on applique correctement la structure exposée dans le livre, il est pratiquement impossible de trouver une idée ne répondant pas à la question initiale. Elle constitue un guide pour utiliser sa créativité de manière très efficace tout en pensant avec la plus grande liberté. »
Vous plaidez en faveur d’une communication qui élargit les horizons, un concept diamétralement opposé à la « communication fast-food ». Pourriez-vous expliquer cette opposition à l’aide d’un exemple concret ?
« J’entends par là une forme de communication qui n’abrutit pas l’esprit, mais l’élargit. Des messages qui incitent les groupes cibles à sortir un instant du train-train quotidien, en leur offrant une expérience qui les enrichit en tant qu’êtres humains. La communication "fast-food", au contraire, est une communication rapide, que l’on consomme sur le pouce et qui est pauvre en contenu et en sens. Les effets sont rapides, comme avec la malbouffe, mais ils sont suivis d’une sensation de vide. Lorsque les gens sont confrontés à un grand nombre de messages de ce genre, ils saturent et, à un moment donné, se ferment à toute nouvelle communication.
Un excellent exemple de communication stimulante, tant sur la forme que sur le fond, est la campagne récente de la chaîne de supermarchés britannique Co-op et de l’agence de création VCCP London. Premièrement, cette campagne élargit les connaissances et la prise de conscience en expliquant clairement comment une telle coopérative fonctionne et génère un impact. Deuxièmement, la forme est particulièrement créative – une véritable œuvre d’art : on voit sortir un ticket de caisse où se déroule une splendide animation dessinée à la main, avec un design sonore très réussi. »
Y a-t-il des marques qui semblent s’inspirer presque exclusivement de l’art ?
« German Doner Kebab a lancé une campagne simple mais convaincante sous le titre "Doners Worthy of the Daylight". Son message : nos kebabs sont tellement délicieux qu’on peut les déguster en journée sans la moindre honte, au lieu de le faire à la fin d’une virée nocturne, quand on est à moitié ivre. Pourquoi cette campagne élargit-elle les horizons ? Parce qu’elle apporte un éclairage nouveau au consommateur, qui se demande pourquoi personne n’y a jamais pensé auparavant.
Les collaborations entre marques et artistes sont également légion. Les marques de mode en particulier sont très fortes dans ce domaine, comme en témoignent les campagnes de Louis Vuitton avec Yayoi Kusama et Jeff Koons. Elles jouent principalement sur l’image de ces artistes, sur l’émotion qu’ils suscitent. D’autres marques utilisent l’art davantage comme référence. Ainsi, dans une campagne de Bridge Fund sur les possibilités d’investissement, on reconnaît aisément le langage visuel d’Erwin Olaf. On perçoit son esprit dans le style, l’utilisation des couleurs, les acteurs… C’est un équilibre difficile à trouver car on doit bien sûr éviter de parasiter l’œuvre d’un artiste à titre posthume. »
Auriez-vous un dernier conseil pour devenir un « Mondrian du marketing » ?
« De nombreux marketers ont tendance à jeter à la corbeille leurs idées les plus créatives, en supposant que leur public cible ne les comprendrait pas. Ne craignez pas d’être radical et faites confiance aux capacités et à la diversité de votre public. »