Le fondateur de Kikk au sujet de la créativité transversale

« Oubliez tout et ne concentrez-vous que sur un seul talent », a dit un jour le joueur de sitar de légende Ravi Shankar. Pour Gilles Bazeleire, voilà en tout cas un adage qui ne prend pas : en tant que fondateur tant de l’agence de communication digitale Dogstudio que de Kikk, le festival namurois populaire, ce touche-à-tout explore avec verve des pistes créatives très diverses. Nous nous sommes entretenus avec le fondateur juste avant le coup d’envoi de la septième édition du festival (portant sur ‘les narratives invisibles’) au sujet de la créativité contemporaine sous toutes ses facettes.

 

 

Marketing & creativity

Le Kikk Festival en est à sa septième édition. Vous êtes un festival relativement jeune, qui, en quelques années à peine, s’est pourtant forgé une place assez unique dans le paysage des festivals belges.

Gilles Bazeleire : « C’est exact. Le Kikk Festival est né du constat qu’il n’existe pas de festival culturel digital en Belgique. Il existe bien de nombreuses foires et sessions d’information où les thèmes culturels, la technologie et l’économie sont associés, mais pas d’événement d’envergure permettant de vraiment s’immerger dans ces mondes qui se chevauchent. Avec Kikk, cela fait sept ans que nous tentons de faire le lien entre différents domaines et les 15.000 visiteurs nous permettent d’affirmer qu’il existe un public pour notre approche transversale. Nous programmons des workshops, des expositions numériques, un marché pour start-ups, des soirées, des installations interactives et des activités pour les enfants et accueillons annuellement des visiteurs venus de plus de 50 pays. »

Pouvons-nous considérer Kikk comme une sorte de déclaration au travers de laquelle on s’oppose au compartimentage culturel ?
GB : « Absolument. Quiconque collabore au festival a déjà un profil hybride et n’est pas figé dans une vérité ou une logique absolues. Nous voulons délibérément abattre les murs, ou pour le dire de façon positive : jeter des ponts et faire le lien entre différents milieux. »

 

 

 

Gilles BazelaireGilles Bazeleire - Kikk

Cette façon de penser séduit-elle aussi les jeunes, souvent intéressés par les circuits de niche  ?
GB : « Selon moi, Kikk reflète très bien la mentalité de la jeunesse d’aujourd’hui, qui face aux choses les plus diverses fait preuve d’intérêt et de passion. De nos jours, la créativité s’exprime plus que jamais de diverses façons, n’étant plus le monopole de ou destinée à des personnages purement artistiques et intellectuels dans ‘l’underground’ culturel. Déjà, une des aspirations de notre festival est de ne pas nous laisser enfermer dans des dogmes sclérosés : pourquoi un concours pour start-ups ne peut-il pas avoir lieu simultanément avec une expo culturelle ? Kikk ne suit pas de recettes classiques ou traditionnelles et part d’une réflexion ouverte. Ce qui est essentiel dans cette optique pour Kikk – et à mon avis pour tout créatif –, c’est une vigilance perpétuelle. Je veux dire par là une remise en question permanente de ce qu’on est en train de faire et une ouverture à l’inattendu. »

Dans quelle mesure Dogstudio est-il impliqué dans Kikk ?
GB : « Grâce à Dogstudio, nous avons visité beaucoup de festivals étrangers ces dernières années et nous avons ainsi pu voir de nos propres yeux ce qui fonctionne ou non. Être créatif signifie évidemment aussi regarder ce que font les autres, se laisser inspirer et ensuite, dans le meilleur des cas, trouver sa propre place, unique. »

Dans votre cas, être créatif, cela exige-t-il un état d’esprit particulier ?
GB : « Pour moi personnellement, la créativité s’exprime dans la possibilité de toujours penser de l’avant, d’ouvrir son esprit et, du coup, de glaner des choses que d’autres ne voient ou ne remarquent tout bonnement pas. Par contre, se figer et s’immobiliser sont, pour ce qui me concerne, les plus grands ennemis de la créativité. »

‘The worst enemy to creativity is self-doubt’, a dit un jour l’écrivaine Sylvia Plath. Le doute est-il salutaire dans le processus créatif ?
GB : « Dit crûment : on ne peut pas douter durant le processus créatif, avoir peur d’aller de l’avant et d’essayer de nouveaux trucs. Je suis convaincu que la créativité, c’est avant tout suivre son intuition. Quand on commence à douter, on perd de sa spontanéité et on ne se fie plus aux impulsions qui, justement, sont le moteur de la créativité. Attention : ce n’est pas parce qu’on ne doute pas que les choses ne peuvent pas foirer. Mais l’échec en soi, ça n’est pas grave ; ce qui l’est, c’est la peur paralysante d’échouer. Elle peut complètement vous bloquer. Si vous ressassez trop tout ce qui peut foirer, vous ne ferez finalement plus rien. Si Kikk existe aujourd’hui, c’est justement parce que nous avons foi en nos propres capacités. »

À certains égards, le monde numérique est devenu immensément plus grand que le monde réel. Comment peut-on encore faire la différence en tant que créatif et créer de la visibilité sur le Web ?

GB : « Ma réponse vous surprendra peut-être, mais je dis toujours à mes clients qu’ils doivent être conscients du fait que ce qui se passe dans la sphère digitale n’est pas un reflet du vrai monde. »

Pourtant, beaucoup de scientifiques estiment qu’aujourd’hui il n’existe pas de différence essentielle entre le monde numérique et la réalité. Un exemple concret : en 2014, Luciano Floridi, un professeur italien de philosophie qui depuis 2013 enseigne à l’université d’Oxford, a publié le livre ‘The Fourth Revolution’, dans lequel il affirme que nous nous trouvons sur une nouvelle ligne de fracture, les vies en ligne et hors ligne se mélangeant toujours davantage.

GB : « Je partage cette analyse, même si, souvent, les médias sociaux dans lesquels sont présents et opèrent beaucoup de créatifs ne sont représentatifs que pour les gens qui leur sont proches. À de nombreux niveaux, Internet nous ouvre un monde, tout en nous isolant aussi souvent d’autrui, justement. J’entends toujours dire qu’un seul clic vous permet de partir à la découverte du monde entier, mais je conseille toujours aux jeunes starters de vraiment voyager. Dans le meilleur des cas, le vrai monde et le monde numérique se trouvent dans le prolongement l’un de l’autre, mais souvent, ce sont hélas des univers parallèles. Prenez l’élection de Trump : nombreux sont ceux pour qui ça a été un véritable choc, tandis que dans la période précédant les élections j’ai découvert sur les médias sociaux un autre monde, dans lequel des leaders d’opinion affirmaient qu’il était le grand favori. »