Le RGPD et l'email marketing: Chronique d'un status quo

Cela fait maintenant un peu plus de quatre mois que le RGPD est entré en vigueur. Quelles ont été les conséquences de ce nouveau règlement pour les spécialistes de l’emailing et de l’envoi d’infolettres ? A-t-il eu un impact sur les taux d’ouverture ? Et est-il désormais plus difficile de convaincre les consommateurs de s’abonner à une newsletter ? Florent Diverchy, consultant en marketing omnicanal chez Bisnode, et Michelle Dassen, business unit manager chez Flexmail, dressent un premier bilan.

 

 

GDPR 600-250

 

Dans les semaines qui ont précédé l’introduction du RGPD, ce nouveau règlement européen était sur toutes les lèvres dans les milieux du marketing. Certains estimaient qu’il allait mettre la profession sens dessus dessous. D’autres redoutaient qu’il rende pratiquement impossible tout contact avec les clients et prospects par voie électronique. Quatre mois après l’entrée en vigueur du règlement, il semblerait bien que la situation soit loin d’être aussi désespérée. « En théorie, le RGPD n’a pas changé grand-chose pour les spécialistes de l’email marketing, estime Dassen. Les politiques que les entreprises sérieuses avaient déjà mises en place en matière de correspondance électronique n’étaient pas si difficiles à aligner sur le RGPD. En effet, de nombreux mécanismes, tels que l’opt-in, existaient déjà pour l’emailing. Dans la pratique, on a pu observer deux tendances. Certaines entreprises ont fait l’autruche en prétendant n’être pas au courant du problème. D’autres se sont au contraire empressées de redemander à l’ensemble de leur clients la permission de communiquer avec eux. »

Diverchy partage cette expérience : « L’e-mail était un canal déjà très bien protégé par le législateur, dit-il. La plupart des entreprises savaient qu’elles devaient en faire usage avec précaution en demandant toujours au préalable l’autorisation explicite des destinataires. Ce qui posait parfois problème, c’était la pratique de certaines entreprises, contraire à l’esprit de la loi, de mettre leurs bases de données à la disposition de "partenaires" non mentionnés explicitement. Nous leur avons recommandé de faire preuve de plus de transparence en la matière. »

 

Ignorance

Dassen et Diverchy reconnaissent tous deux que beaucoup d’entreprises et de responsables marketing ont péché par ignorance. Certains d’entre eux ont contacté l’ensemble de leurs relations d’affaires alors que cela n’était pas vraiment nécessaire. « C’est ce qui faisait le plus peur à nos clients : le fait de devoir redemander la permission et par conséquent le risque de voir une grande partie de leur base de données s’envoler en fumée, indique Dassen. Mais c’était une crainte infondée. Le fait que les gens consultent régulièrement leurs e-mails et interagissent avec les contenus implique en soi qu’ils veulent continuer à les recevoir à l’avenir. C’est une sorte de "soft opt-in". Surtout si la possibilité de se désinscrire est clairement mentionnée et que les bons principes en matière d’opt-in sont respectés. Qui plus est, il existe aussi une sorte d’engagement contractuel en matière de communication sur les services, spécifiquement pour les clients. L’objectif du RGPD était de réduire le nombre de courriers envoyés. Juste avant son entrée en vigueur, c’est l’effet inverse qui s’est produit : les mailbox étaient pleines à craquer de campagnes de réactivation. »

Et Diverchy d’embrayer : « On peut supposer qu’environ un quart des clients ouvrent ce genre de courriels. Et que, parmi ceux-ci, un autre quart cliquent effectivement sur le bouton d’opt-in. En agissant de la sorte, on risquait par conséquent de se retrouver tout à coup avec seulement six pour cent de sa base de données initiale, ce qui aurait été désastreux pour la plupart des entreprises. Quoi qu’il en soit, nous étions d’avis que ce n’était pas vraiment nécessaire et nous avons conseillé à nos clients de ne pas le faire. Ce n’est que lorsque les entreprises travaillent avec des listes de diffusion achetées, et donc illégales, pour lesquelles elles ne disposent pas elles-mêmes d’autorisation explicite, que cette opération s’avère nécessaire selon notre interprétation. Raison de plus pour éviter soigneusement de recourir à de telles listes. »

 

Pas de drame

Le nombre de consommateurs qui se sont abonnés à des infolettres et à des courriels de marketing n’a pratiquement pas diminué depuis le RGPD, affirme Dassen. « Sur l’ensemble de nos clients, il peut y avoir une très légère baisse visible, mais sans aucune gravité. Nous avons certainement évité le drame. Cela a même eu pour effet secondaire positif d’améliorer la qualité de nombreuses bases de données, qui se composent désormais de contacts actifs. C’est-à-dire de personnes s’intéressant vraiment aux contenus qui leur sont envoyés et qui ouvriront donc plus rapidement les courriels. Je pense que cela a également encouragé de nombreuses entreprises à revoir leur stratégie de marketing : comment doivent-elles organiser leur base de données ? Qui souhaitent-elles atteindre ? Quand ? Misent-elles sur l’effet de masse ou sur la différenciation ? Si elles souhaitent personnaliser leurs courriels, elles doivent disposer de données, mais lesquelles demander ? Ce sont là des questions qu’il convient d’examiner attentivement, et le RGPD a été une bonne occasion de le faire. »

Nos interlocuteurs ne veulent pas encore se prononcer sur la question de savoir s’il est devenu plus difficile d’attirer de nouveaux abonnés depuis l’entrée en vigueur du règlement européen. « Il est encore trop tôt pour pouvoir dire quoi que ce soit de concret à ce sujet, considère Dassen. Mais je pense que de nombreux consommateurs ont de toute façon perdu une partie de leur confiance dans les entreprises. Ils sont déjà tellement bombardés d’e-mails qu’ils mettent tout le monde dans le même panier. J’en ai fait moi-même l’expérience : je me suis inscrite dernièrement à un programme de grossesse et soudain, j’ai reçu une avalanche d’e-mails d’entreprises dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. En lisant les petits caractères, je me suis rendu compte que mes données étaient communiquées à des "partenaires". Qui sont-ils et que font-ils avec mes données ? Aucune idée. Seule une plus grande transparence peut aider à lutter contre de telles pratiques. Les entreprises doivent communiquer ouvertement sur les données qu’elles possèdent et sur ce qu’elles en font, tout en menant une politique simple et cohérente d’opt-in et d’opt-out. C’est la seule façon de rétablir la confiance. »

Déjà oublié

Pour conclure : peut-on dire que l’on a fortement exagéré les répercussions que le RGPD allait avoir sur l’email marketing ? « Lorsque nous avons orchestré des campagnes de recrutement sur Facebook au début de cette année, avec notamment l’organisation d’un concours et l’offre de cadeaux, nous avons reçu plusieurs commentaires à propos du RGPD et de la protection de la vie privée, reconnaît Diverchy. Aujourd’hui, plus personne ne soulève la moindre objection. Franchement, j’ai l’impression que la plupart des gens ont déjà oublié le RGPD, mais cela ne signifie pas bien sûr, que nous devions cesser de faire tout notre possible pour respecter ce règlement et la vie privée des consommateurs. »