L’éthique entre encodage et évolution

Pour juger si une publicité est éthique ou non, on se base généralement sur un ensemble de codes et de règles. En quelle mesure ceux-ci restent-ils toutefois de mise dans un monde qui évolue à une vitesse folle ? Nous avons cherché la réponse auprès d’un expert en science éthique, Bart Pattyn de la KU Leuven, et du président du JEP, Piet Moons.

 

Marketing & society

 

Avec le Jury d’Ethique Publicitaire (JEP), le monde du marketing et de la publicité dispose d’un organe autorégulateur qui accompagne les professionnels avec des conseils, mais qui se prononce également sur des plaintes éthiques. Sur son site, le JEP stipule toutefois aussi que la publicité doit se développer dans un cadre réglementaire et qu’outre les codes éthiques, la législation aussi en fait partie. En cette année 2017, les codes et les lois sont toujours le moyen par excellence pour mettre en exergue la fiabilité de la publicité  et ainsi renforcer la confiance que les consommateurs témoignent aux marques.

La morale versus le droit

Bart Pattyn, professeur à l’Institut supérieur de philosophie de la KU Leuven et directeur de l’‘Overlegcentrum voor Ethiek’, pose toutefois des points d’interrogation sur la tendance croissante de couler des principes éthiques dans des codes. « Je ne suis absolument pas d’accord avec cette évolution, suite à laquelle l’éthique se met à ressembler à des droits », dit-il, « car la morale et le droit sont deux notions fondamentalement différentes. Ce que nous pensons devoir faire d’un point de vue moral est lié à ce qui fait l’objet de notre sens des responsabilités et notre volonté d’en prendre soin. Nous sommes responsables de bien plus de choses que celles pour lesquelles nous pouvons être rendus légalement responsables. Quiconque est fidèle à un ami ou partenaire, cherche à prendre soin d’une communauté ou à être honnête dans sa communication, n’y est pas légalement obligé, ce qui n’empêche qu’il ou elle considère que ce type d’engagement tombe sous sa responsabilité morale. Si toutes ces obligations morales devaient être prescrites, ce serait horrible. »

Pas une seule éthique

Autre question délicate : entre spécialistes en éthique, il n’existe pas d’unanimité sur les principes pouvant justifier une telle régulation légale du comportement moral. Rares sont les disciplines où le désaccord interne et les oppositions concernant l’objet même de la discipline sont plus grands. « À l’égard du monde extérieur, certains spécialistes en éthique créent l’impression que les codes qu’ils avancent reposent sur un consensus réfléchi entre experts », dixit Pattyn. « Cette prétention est généralement fausse, mais comme personne ne demande à connaître le fin mot de l’histoire, ils peuvent facilement se le permettre. » 

Refléter la société

Du côté du JEP, le président Piet Moons reconnaît qu’il n’existe pas de définition uniforme et parfaite des principes éthiques. Le jury se base même sur ce constat pour déterminer sa composition. « Les conseils et évaluations du JEP émanent d’une équipe de douze personnes. La moitié d’entre elles provient du monde publicitaire, l’autre moitié de la société civile. Ces gens siègent personnellement – et non au nom de leur organisation – dans le JEP. En outre, nous veillons à un équilibre entre les régions, la parité hommes-femmes et un diversité en termes d’âge et de culture. Cette composition nous permet, au-delà des codes et des règles, de continuellement prendre le pouls de la société. Ce débat sociétal est positif ; il est bon, outre le cadre de codes et de règles, d’adopter d’autres points de vue. »

Réfléchir autrement à l’éthique

Pattyn, qui sur ce thème a publié l’ouvrage ‘Média en mentaliteit’, plaide pour que, dans le marketing aussi, on se mette à réfléchir à l’éthique de façon radicalement différente. Le marketing et l’éthique sont intimement liés, car les marketeurs s’inspirent de l’éthos d’un groupe et lui donnent forme. « L’‘éthos grec’ réfère à l’entente au sein d’un certain groupe », explique Bart Pattyn. « Le mot ‘éthique’ est dérivé d’‘éthos’ parce que ce qui est jugé comme moral et bon est en ligne avec ce qui, au sein d’une entente, est considéré comme  approprié ou moral. Les marketeurs s’inspirent de cet éthos en synchronisant leurs produits ou messages avec ce qui, dans la mentalité de leur cible, est jugé important ou agréable. Ils renforcent ainsi cet éthos, sans se poser de questions sur sa qualité. »

Entente

En outre, les messages publicitaires interpellent aussi des gens qui ne font partie d’aucune cible spécifique. Ainsi, la publicité finit aussi par toucher des groupes ayant d’autres normes que votre cible. « C’est exact », dit Pattyn. « La publicité pour un site de rencontres n’est sans doute pas transgressive pour le cœur de cible, mais les critiques pourraient indiquer que, dans la société, elle crée l’idée que découcher c’est normal. Les gens ne se plaignent pas d’une publicité parce qu’elle les dérange personnellement, mais parce qu’elle fait bouger l’entente au sujet d’un tel thème au sein de leur groupe. » Au sein du JEP aussi, le concept d’ententes mouvantes est familier. C’est une des raisons pour lesquelles le jury ne se borne pas à juger des plaintes, mais qu’il formule aussi des conseils préalables (non contraignants) sur l’éthique lorsque les annonceurs le lui demandent. « Le JEP réagit à partir du secteur même et nous voulons donc intervenir de manière proactive », dit Piet Moons. « C’est une façon en tant que secteur, de s’intégrer dans la société. Les questions éthiques ont parfois aussi un fondement international. Leur interprétation chez nous sera différente de celle en Chine et il faut donc un jury composé de façon équilibrée pour les aborder. Nous constatons aussi que ça fonctionne, que les décisions que nous prenons sont acceptées par la société. Bien sûr, on peut toujours mieux faire, mais actuellement nous avons trouvé un bon équilibre. »