Le marketing destiné aux consommateurs d’origine étrangère : du respect avant tout

En Belgique, la communauté allochtone s’accroît d’année en année. Il s’agit donc d’un marché important, qui présente des caractéristiques spécifiques et dont le potentiel est souvent négligé ou sous-exploité par les marketeurs. Dans son livre en néerlandais « Etnomarketing: het vertrouwen van de nieuwe consument » (Ethnomarketing : la confiance du nouveau consommateur), Rachid Lamrabat apporte un éclairage précieux sur ce thème passionnant. Mais quelle influence cet ouvrage a-t-il sur les responsables marketing de notre pays ? Nous avons posé la question à Madeleine Janssens, directrice chez WHY5 Research. Malgré sa vaste expérience du monde arabe, cette lecture a été pour elle une révélation.

 

etnomarketing

Comme j’habite à Borgerhout, j’ai des contacts quotidiens avec la communauté allochtone, qui a connu un net développement en Belgique, puisque les personnes d’origine étrangère représentent aujourd’hui environ 20 % de notre population. Dans les grandes villes, cette part atteint même 50 %, voire plus. Bref, il s’agit d’un groupe non négligeable, aussi pour les marketeurs. Notre tâche consiste en effet à favoriser les rapports harmonieux entre les gens et leur environnement commercial. Pour ce faire, nous devons lancer sur le marché des produits et services qui apportent une réponse aux besoins réels des consommateurs. Nous avons donc un rôle important à jouer, puisque nous devons contribuer à façonner la société.

Outre mes liens avec Borgerhout, j’entretiens encore d’autres relations avec le monde arabe, car j’ai mené des études approfondies dans des pays comme les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Iran, la Syrie, le Koweït, la Tunisie et l’Algérie.

Je peux donc dire que j’ai acquis entre-temps une assez bonne connaissance des cultures islamiques. En même temps, on reste toujours un étranger. À cela s’ajoute de notre part une sorte d’« aveuglement culturel » et d’« ethnocentrisme », c’est-à-dire une tendance à prendre notre propre culture comme cadre de référence et norme de comparaison pour appréhender les autres cultures. Notre point de vue est donc toujours extérieur. Le livre de Rachid Lamrabat a le grand mérite d’analyser la culture islamique de l’intérieur. Cette simple perspective est déjà en soi riche d’enseignements.

Rachid Lamrabat émaille son récit d’exemples qui rendent son propos très concret et familier et qui permettent en outre de cerner les facteurs qui expliquent pourquoi une approche est adéquate ou au contraire inappropriée. Le cas de Red Bull m’a particulièrement frappée. Pendant le ramadan, la marque a organisé une distribution d’échantillons à la sortie des mosquées. Le raisonnement – étranger à cette culture – était que ces personnes avaient bien besoin d’un stimulant après une journée de jeûne. Or, le ramadan est pour les musulmans une période de recueillement où une boisson énergisante comme Red Bull n’a pas du tout sa place…

La première étape consiste donc à comprendre et à respecter l’autre dans sa différence. Un principe que la chaîne de chaussures Torfs a quant à elle parfaitement assimilé. À l’occasion de la fête du Sacrifice, elle a ouvert un pop-up dans l’Offerandestraat (littéralement rue du Sacrifice) à Anvers. Elle a invité trois musulmanes à lancer leur propre magasin dans le même complexe, sans devoir payer de loyer. Pour rendre l’endroit encore plus accueillant, il y avait aussi un bar à thé où des ateliers sur la mode et le style étaient organisés pour un public mixte. Ce projet pop-up a duré deux semaines, jusque deux jours avant le fête du Sacrifice – une fête islamique pour laquelle les musulmans dépensent beaucoup d’argent, notamment en vêtements. Ce « concept hybride » était donc une occasion rêvée pour Torfs de toucher un plus grand nombre d’allochtones.

Ce livre, écrit par quelqu’un qui connaît la communauté musulmane de l’intérieur, constitue selon moi une lecture obligatoire pour tout marketeur. Les exemples cités donnent matière à réflexion. Pourquoi n’y a-t-il pas un seul supermarché « belge » qui célèbre la fin du ramadan, alors que la pâtisserie marocaine de la Turnhoutsebaan à Borgerhout installe bel et bien un sapin pendant la période de Noël ? La lecture de ce livre permet de se rapprocher de cette communauté de consommateurs musulmans et de mieux « ressentir » ce qui est important à leurs yeux.

Vous aimeriez savoir si le livre présente certaines lacunes ou faiblesses ? Je vous répondrai simplement que je pense qu’il lui faut une suite. L’ouvrage « Etnomarketing » ne présente que la pointe de l’iceberg, il reste à la surface. Un deuxième livre pourrait dévoiler les mécanismes, les ressorts intimes de cette culture qui impriment une direction aux comportements de ces personnes.

En tout cas, ce livre nous a déjà ouvert les yeux chez WHY5 Research. Grâce à lui, nous avons engagé une collaboration avec Tiqah, l’agence de Rachid Lamrabat. Et ce n’est encore qu’un début...

 

Boiler plate:

Le livre de marketing

Chez BAM, nous mettons tout en œuvre pour inspirer nos membres. À cet effet, nous attirons régulièrement leur attention sur des ouvrages de marketing intéressants en leur proposant des critiques de livres, des comptes rendus de présentations, des synthèses de tables rondes, etc. À la fin de l’année, nos membres peuvent élire le Marketing Book of The Year parmi notre sélection.