« Un bon créatif publicitaire est un spécialiste de la culture populaire »

Qu’est-ce que ça donnerait si nous réunissions celui qui est probablement le plus grand créatif du pays avec des talents en herbe ? La réponse ? Une matinée bourrée de conseils précieux sur les cycles de comptables et marketeurs, la différence entre images et récits et le fait que quelque chose vous choisit… Chronique d’un entretien à trois, à savoir Guillaume Van der Stighelen et les nouveaux directeurs créatifs de Serviceplan, Merel Van den Broeck et Naïm Baddich.

Marketing & creativity

La créativité publicitaire est-elle différente aujourd’hui comparée à celle d’il y a 20 ans ?

Guillaume Van der Stighelen : Oui, quand même. Le business tout entier était francophone et il n’y avait que le print. Tout tournait autour de belles images. S’il arrivait qu’on devait créer un spot TV - quasi tout sur RTL était repris de la France –, il s’agissait d’une photo animée ; une image d’ambiance nappée d’une belle musique classique.

Le lancement de VTM a permis de faire preuve de créativité. Les spots TV ont fait leur apparition. Il fallait pouvoir raconter des histoires, divertir. À cette époque, les néerlandophones ont aussi pris le relais dans les départements marketing et il y a eu un changement de style.

Merel et Naïm, cela fait 10 ans que vous êtes dans le métier. L’avez-vous vu évoluer ?

Merel Van den Broeck : Absolument. Il faut vivre avec son temps. Et, surtout, faire attention aux endroits où les gens consomment la publicité. Avant, un consommateur était obligé de regarder un spot TV ; aujourd’hui, il peut le zapper. Il faut donc imaginer d’autres façons de le toucher. Par contre, le contenu du job, lui, est resté inchangé.

GVDS : Il y a aussi la situation économique, l’esprit du temps. Dans les années ’50, ’60 beaucoup de produits étaient neufs, ce qui fait qu’il était plus facile de faire leur publicité. Aujourd’hui, les gens ont tout. Qu’est-ce qui pourrait encore les rendre heureux ?

En cas de haute conjoncture, les marketeurs sont au pouvoir au sein des sociétés. Ils relèvent les opportunités et cherchent à séduire le public. En cas de basse conjoncture, il n’y a pas d’argent dans le marché. Le seul moyen de relever sa ‘bottom line’, c’est de réduire les coûts. Ce sont alors les comptables, les directeurs financiers, qui sont au pouvoir. Ceux-ci ne retirent aucun plaisir de voir naître une grande création.

Il faut bien comprendre que ce sont ces gens-là qui payent le talent créatif. Pour les comptables, on est avant tout un coût, tandis qu’aux yeux des marketeurs on fait figure de héros, d’ingrédient de base d’une recette à succès.

Stella FR‘Chez moi, c’est près de ma Stella’, une des trouvailles les plus célèbres signées Guillaume Van der Stighelen.

 

Comment la situation est-elle aujourd’hui ?

Naïm Baddich : J’ai le sentiment que beaucoup de clients estiment être capables de faire notre travail et qu’ils disposent de tous les outils pour le faire. Ils ont les médias et savent quel message ils veulent faire passer. Pour eux ça suffit. Ils n’ont donc pas beaucoup d’estime pour les créatifs et ne comprennent pas quel rôle nous pouvons jouer. Nous devons donc continuer à le leur expliquer.

GVDS : Ce que tu racontes là, Naïm, existait aussi déjà il y a 20 ans. À ce moment-là, il faut les élever à un niveau qu’ils ne peuvent pas atteindre par eux-mêmes.

Il y a invariablement des périodes durant lesquelles l’industrie publicitaire oublie qu’il faut créer la demande. Chaque agence part alors du principe que chaque marketeur aime la création.

André Duval l’a compris et a agi de façon fantastique. Il allait toujours raconter à quel point j’étais génial. Ce qui faisait que les clients aussi demandaient d’imaginer quelque chose de génial. À chaque fois que j’ai vu une renaissance publicitaire quelque part dans le monde, il y avait des André Duvals pour donner envie aux marketeurs et CEO de choses dont ils ne savaient pas qu’elles existaient… Je pense qu’aujourd’hui on ne crée pas de demande…

Le niveau créatif a-t-il baissé ?

MVDB : Il est difficile de comparer. Peut-être qu’en moyenne, les spots TV d’aujourd’hui sont moins créatifs, mais en ligne il se passe des choses qui vont très loin, qui sont plus que de la publicité. Des services qui aident les gens… La qualité n’a certainement pas diminué.

En quoi les agences peuvent-elles faire la différence par rapport au département interne de l’annonceur ?

MVDB : Grâce à la qualité de la créativité. Les idées peuvent venir de partout et de tout le monde, mais creuser une idée et la traduire en quelque chose qu’un public cible peut saisir et qui le touche, c’est tout un art. Pour y arriver, il faut l’expertise de créatifs.

NB : Il y a aussi encore la finition. Pour les créatifs, chaque détail compte. Nous sommes confrontés aujourd’hui au défi de continuer à fournir cette même qualité, mais plus rapidement. Tout doit en effet aller plus vite.

Il faut aussi trouver les personnes pour le faire. Avant, il fallait déjà vraiment être passionné pour aller jusqu’au bout des choses. Aujourd’hui, il faut fournir ce même professionnalisme en moins de temps.

La jeune génération teste un job et quand ça ne fonctionne pas vraiment, on fait autre chose. Nous avons toujours plus difficile à trouver des gens pour qui c’est une vraie passion. Des gens qui voient vraiment la création comme leur bébé et qui ne la remettront au client que lorsqu’ils seront sûrs que tout se tient parfaitement.

Recherchez-vous d’autres profils qu’il y a dix ans ?

NB : Dans un premier temps, cela dépend fortement de l’agence. Les profils que nous recherchons chez Serviceplan ne sont pas les mêmes que ceux que nous recherchions chez Publicis, ou encore chez Happiness.

À part ça, nous recherchons des gens qui font preuve d’une grande curiosité et qui ont une vie en dehors de la publicité. Des gens qui ne voient pas ce job comme un ‘boulot’. Ils doivent être spécialistes de la culture populaire et connaître les codes d’aujourd’hui.

Un créatif est quelqu’un qui s’amène avec de bonnes idées, mais qui amorce aussi déjà l’exécution. Est-il vrai que le premier volet a gagné en importance par rapport au second ?

MVDB : On a toujours de l’attention pour l’exécution, mais de nos jours on travaille plus souvent avec des experts. Avant, un art director savait bien dessiner. Aujourd’hui, ça n’est plus indispensable. Nous l’avons accepté et mettons donc plus l’emphase sur la conception d’une super bonne idée, tout en nous entourons donc bel et bien desdits spécialistes.

Par contre, il est vrai qu’il faut savoir ce qui est possible. Il faut connaître les possibilités pour arriver à l’idée en question ou aiguiller quelqu’un vers un produit fini. Si on veut le faire avec l’intelligence artificielle, il faut en connaître les bases, mais ensuite il faut aller discuter avec un expert pour voir jusqu’où on peut aller.

Les touche-à-tout qui n’excellent en rien ne nous sont pas d’une grande utilité. Dans ce cas, on obtient en effet une idée potable qui aura l’air potable. Ça n’avance à rien.

NB : C’est comme ça que se goupille aujourd’hui le monde des créatifs, mais je trouve ça dommage. En tant que créatif, on doit pouvoir répercuter son concept sur tous les canaux imaginables. Stromae ou Kyan Khojandi (le créateur de Bref sur Canal+, ndlr.), par exemple, savent très bien le faire.

Merel et Naïm, vous travaillez en duo. Est-ce nécessaire ?

MVDB : À l’image d’un team capable de développer une meilleure idée qu’une personne seule, deux directeurs créatifs peuvent aussi s’enrichir. Chacun a ses propres centres d’intérêt, son propre style, et parfois ça peut ‘clasher’, mais je pense que le résultat en est toujours meilleur.

NB : Avant, le directeur créatif était le gourou de l’entreprise. Il ne pouvait bien sûr y en avoir qu’un seul. Aujourd’hui, les agences sont souvent déjà animées par une vision, ou alors elles font partie d’un réseau qui en a une. Le rôle des directeurs créatifs a donc changé. Ils doivent davantage gérer et pour ce faire il vaut mieux être deux. On est rarement celui ou celle qui sait tout, surtout dans un paysage qui ne cesse d’évoluer.

Auriez-vous pu être directeur créatif il y a 20 ans ?

NB : Je crois que oui, mais pas à un aussi jeune âge. À l’époque, le directeur créatif était vraiment une valeur sûre. C’est moins important aujourd’hui. De nos jours ,il faut surtout bien gérer le présent.

Guillaume, pourriez-vous encore être directeur créatif aujourd’hui ?

GVDS : Je ne voudrais plus, mais ce serait toujours dans mes cordes. Il existe bien sûr différents types de directeurs créatifs. Ceux qui gèrent bien un certain média, qui à cette époque compte beaucoup. Ou ceux qui réussissent à être le partenaire du CEO de leur client. Des gens comme Dan Wieden, John Hegarty, Bill Bernbach… Qu’ils vivent à une autre époque ou aujourd’hui même, ils auraient toujours élevé la création à un niveau supérieur.

En tant que jeune de 25 ans, vous engageriez-vous toujours dans la pub ?

GVDS : Probablement que oui. La publicité est un sport pour jeunes. Il faut faire preuve d’une certaine naïveté pour s’en accommoder. Bon, l’expérience m’a appris qu’on ne devient pas quelque chose parce qu’on choisit de le devenir. Ce ‘quelque chose’ vous choisit vous, parce que vous faites ça bien et que vous êtes passionné. Quant à savoir ce qu’est ce quelque chose, ça on ne le contrôle pas.