Marketing Book: L’entreprise immortelle : « Il faut s’exercer un peu chaque jour à mourir, abandonner une idée aujourd’hui pour lancer un nouveau projet demain. »

Comment la fine fleur du monde économique belge met-elle en pratique le paradigme AGIL décrit en détail par Fons Van Dyck dans son nouveau livre « L’entreprise immortelle » ? Tel était le fil rouge du débat qui a suivi la présentation de l’ouvrage et qui a été animé par Daan Killemaes, rédacteur en chef de Trends. Organisée dans les locaux de BNP Paribas Fortis, cette discussion a réuni Christian Van Thillo (De Persgroep), Michel Moortgat (Duvel-Moortgat), Françoise Chombar (Melexis) et Jef Colruyt (Groupe Colruyt).

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La première partie du débat avait pour thème « l’adaptation ». Comment les CEO gèrent-ils les événements externes et les changements au sein de leur environnement, et comment s’efforcent-ils d’en tirer parti ? Le modérateur a suggéré que le secteur des médias était l’un des premiers secteurs à ressentir les effets disruptifs. Christian Van Thillo a approuvé cette analyse, en ajoutant que la disruption était encore en cours. « Des acteurs technologiques comme Google et Facebook ont lancé une offensive sur le marché publicitaire. Le problème, c’est que la concurrence venait tout à coup d’un secteur auquel nous ne nous attendions pas, a-t-il expliqué. Notre stratégie consiste à nous concentrer sur notre cœur de métier et à traduire ces activités de base en numérique d’une manière entièrement axée sur le consommateur. Par ailleurs, beaucoup surestiment les effets à court terme de cette disruption et sous-estiment son impact à long terme. Dans les 10 à 15 prochaines années, certaines activités vont continuer à décliner, un recul que nous devrons compenser par une croissance organique du nouveau business. »

Jef Colruyt compte également maîtriser ces adaptations continues en tablant sur l’identité de son groupe. « Il s’agit d’associer les innovations aux efforts visant à entretenir les relations avec les clients, indique-t-il. Dans le domaine du commerce électronique, nous essayons de faire un usage judicieux des nouvelles technologies. En même temps, nous expérimentons sur des terrains où nous voulons jouer un rôle en tant que distributeur, comme celui des rapports entre alimentation et santé, qui ne cesse de gagner en importance. » Michel Moortgat abonde dans son sens : « Le produit que nous fabriquons a un bel avenir devant lui, puisqu’il s’agit d’un produit naturel. Mais comme il est alcoolisé, il présente aussi un côté dangereux. » Et de se demander tout haut si son entreprise porterait une date de péremption. « Nous explorons différentes pistes pour garantir notre croissance, tant l’entrée sur de nouveaux marchés que l’innovation, notamment par voie d’acquisition, poursuit-il. À cet égard, il est essentiel de maintenir l’équilibre entre l’adaptation et le respect de la culture d’entreprise. »

Des marketers déboussolés

Le deuxième volet du débat portait sur le « G » du paradigme AGIL, et plus précisément sur le « Goal Attainment » ou la réalisation d’objectifs clairs. La discussion sur ce point a rapidement tourné autour de l’importance d’un investissement continu dans les marques. Fons Van Dyck avait cité plutôt dans la soirée la célèbre étude d’Havas Media révélant que 77 % des marques dans le monde seraient devenues sans valeur pour les consommateurs. Ce sont surtout les marques des groupes industriels qui pâtissent de cette tendance. À cet égard, les propos du patron d’AB-InBev Carlos Britto dans De Standaard étaient éloquents : « L’époque où une marque (je songe à Stella Artois, Jupiler ou Budsweiser) était dominante est révolue », faisait-il savoir au quotidien flamand. « Votre force peut aussi être une faiblesse, a lancé Michel Moortgat au cours du débat. Duvel est une marque performante, mais nous en sommes devenus trop tributaires. Nous essayons de surmonter cet obstacle par l’acquisition de petites brasseries et par une expansion internationale. Si nos objectifs sont ambitieux, nous ne sanctionnons pas nos collaborateurs s’ils ne sont pas réalisés. Je me range à la philosophie de Steve Jobs : « Nous voulons être les meilleurs, pas les plus grands. »

Françoise Chombar (Melexis) indique pour sa part qu’elle préfère se fixer des objectifs élevés plutôt que trop bas. « Quand les choses vont moins bien, il vaut mieux prendre du recul et faire des ajustements, sans toucher à l’identité de l’entreprise. » Et Van Thillo de réagir : « Notre management discute du matin au soir des changements qui se produisent sur le marché. Nous ne nous écartons pas de nos valeurs, mais nous adaptons constamment nos objectifs. » Pour Jef Colruyt, l’immortalité consiste à « s’exercer un peu chaque jour à mourir, abandonner une idée aujourd’hui pour lancer un nouveau projet demain ». Fons Van Dyck a rassuré les participants au débat et le public en affirmant que la seule certitude est que tout va changer, sauf nos valeurs, notre histoire et notre identité. « Ces aspects doivent constituer la boussole de toute entreprise », insiste l’auteur.

Les participants ont ensuite évoqué les problèmes liés au fait que les marketers négligeaient d’investir dans leurs marques. « Les marketers ont perdu le Nord, estime Van Thillo. Il s’agit selon moi d’un des problèmes majeurs du monde des entreprises à l’heure actuelle. On ne développe pas une marque en accordant des ristournes ou, dans notre cas, en fournissant des informations gratuitement. Non, il faut créer un lien émotionnel avec le client, pour rendre celui-ci moins attaché à la question du prix et plus disposé à payer pour profiter de votre produit. La meilleure stratégie consiste à investir à nouveau dans la marque : touch, tell, sell... » Sur ce point, Françoise Chombar cite l’exemple de Tesla. « Cette entreprise a perdu tout sens de l’orientation. Elle fabrique maintenant des voitures à un prix moins élevé tout simplement pour pouvoir écouler le volume produit. C’est une erreur fatale », estime Chombar.Mettre d’accord les différents chaînons de l’entreprise

Le troisième pilier du paradigme AGIL, « l’intégration », concerne le maintien de la cohésion entre les différents départements d’une entreprise. Un thème du plus haut intérêt pour les participants au débat, vu l’air du temps marqué par les innovations et les acquisitions. « Il existe une taille maximale qu’une entreprise ne peut excéder, considère Michel Moortgat. Sinon, elle risque de perdre son âme et son identité. Nous essayons de compenser cela en laissant aux brasseries que nous reprenons une grande indépendance d’action. Elles conservent leur identité et culture, tout en s’appuyant l’une sur l’autre. Chaque acquisition s’accompagne de la reconnaissance des valeurs de l’entreprise reprise et de nos efforts pour développer celles-ci. »


Quand mourir ?

Le temps ne permettant plus d’aborder le quatrième point du paradigme AGIL (« latent pattern maintenance », protéger et partager son ADN), le modérateur a conclu le débat par une dernière question : Une entreprise doit-elle être immortelle ? Michel Moortgat affirme que, s’il avait la possibilité de « geler » l’entreprise telle qu’elle est aujourd’hui, il le ferait immédiatement, car « la croissance et le développement continus ne sont pas toujours sains non plus ». Christian Van Thillo n’est pas du même avis et fait savoir qu’il serait heureux si l’entreprise pouvait continuer à se développer sans lui. « Trop souvent, les gens ont tendance à confondre l’entreprise avec son CEO », déplore-t-il. Pour Françoise Chombar, le critère de mortalité d’une entreprise devrait être le suivant : « Tant qu’elle contribue à l’amélioration de la société, elle doit continuer à vivre. Malheureusement, beaucoup d’entreprises de mon secteur sont des zombies qui survivent grâce à des subventions ou à l’État. Je ne serais donc pas triste de les voir disparaître et de laisser ainsi la place à de jeunes pousses. »

L’ouvrage « L’entreprise immortelle. Survivre à l’ère disruptive » de Fons Van Dyck a paru début mars en français et en néerlandais aux éditions LannooCampus. La traduction anglaise sortira prochainement.

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