Le respect de la vie privée contribue à construire une marque
Le 25 mai 2018, les lois régissant la vie privée seront fortement durcies. Cependant, là où on part généralement d’une contrainte, le fait de miser sur la ‘privacy by design’ ouvre un tas de possibilités. Tant au niveau du marketing que du business. Nous avons réuni autour de la table quatre spécialistes : Hans Brabant (DBM – Data for Better Marketing), Filip Champagne (Bisnode), Benoît De Nayer (Citobi) et Matthias Dubois (bpost).
Ces derniers mois, le respect de la vie privée a fait la une grâce à la GDPR. Quel est le sentiment qui prévaut sur ce point chez vos clients ?
Filip Champagne : Dans les grandes sociétés, cet aspect est souvent dirigé depuis l’IT et ça a commencé depuis longtemps. Par contre, les marketeurs de petites et moyennes entreprises commencent petit à petit à se rendre compte de l’impact que cela aura. Ils ne savent pas très bien ce que cela signifie pour le marketing et ils sont inquiets. Par ailleurs, ils discutent avec des avocats, des consultants et autres d’éventuelles opportunités. À juste titre. Les possibilités offertes par un ‘single customer view’ sont gigantesques.
Matthias Dubois : N’existe-t-il pas aussi des marketeurs qui pensent comme ça ? Cela fait longtemps qu’ils demandent un budget pour pouvoir consolider la data. Désormais, c’est obligatoire et ils en sont heureux. Ils peuvent ainsi franchir des étapes en direction d’une ‘single customer view’. Apprendre à se faire une idée du client, c’est là que tout commence. Je trouve ça bizarre si, en tant que marketeur, on n’aspire pas à cela.
Hans Brabant : Celui qui s’en saisit comme d’une opportunité, ira loin. On voit alors ça comme un moyen pour réaliser autre chose. Plus le client est au cœur du débat, plus ça devient évident. Actuellement, beaucoup de sociétés se trouvent encore dans le mode ‘nécessité’. Quiconque met le client au cœur des préoccupations, devra cependant se faire moins de souci en général. Seuls ceux qui sont motivés par d’autres considérations – les cowboys – ont un gros problème.
FC : La mise en conformité avec la GDPR implique pas mal de détails qui ne sont pas toujours aussi clairs sur le plan juridique. Je cite l’exemple de la ‘période de rétention’. On est censé supprimer la data après un certain temps. Quel est dans ce cas le délai raisonnable ? À partir de quel moment est-on censé le calculer ? C’est ce type de choses qui, chez certains, créent de l’incertitude, ce qui les pousse plutôt à être conservateurs.
Benoît De Nayer : On dirait parfois qu’on se retrouve avec le bug de l’an 2000. Certains pensent que le 26 mai 2018 (le lendemain du jour où la réglementation européenne entrera en vigueur, ndlr.), les cartes VISA ne fonctionneront plus. Ou encore, que nous ne serons plus en mesure de téléphoner avec les Etats-Unis. C’est ridicule.
N’est-ce pas lié au fait que le marketing tient rarement les rênes ?
FC : Dans le contexte de la GDPR, le business, aujourd’hui, est fortement poussé par les départements juridiques. Du coup, la probabilité d’une attitude par trop conservatrice vis-à-vis de risques éventuels devient réelle. En tant qu’hommes et femmes d’affaires, nous devons contrebalancer Legal.
HB : La GDPR n’est pas uniquement un problème légal ou IT. Ça crée désormais une opportunité d’aborder la question ‘comment faire mon business dans les années à venir ?’. Le marketing est actuellement très orienté produit, mais on évolue vers un marketing orienté contenu : ‘voilà ce que nous pouvons signifier pour vous’. Par conséquent, la façon dont nous communiquons avec nos clients/prospects évoluera aussi. Ce sera alors plutôt : auprès de quelle cible diffuserai-je mon contenu imprégné de valeur ? Si elle se sent interpelée par ce contenu, celui-ci ne lui posera dès lors aucun problème, puisque vous offrez de la valeur/du contenu, plutôt que de pousser des produits qui ne sont pas toujours conformes aux besoins du consommateur.
FC : À l’avenir, nous voudrons aussi toujours être en mesure de cibler les groupes cibles qui, aujourd’hui, ne veulent pas encore être client, et ce avec des contenus de valeur.
Comment le consommateur voit-il aujourd’hui la confidentialité et cette image a-t-elle évolué ?
BDN : On entend parfois que ça n’est pas important aux yeux du consommateur, mais c’est plutôt une affirmation lancée sur le marché par Facebook. Il va de soi que Facebook a tout intérêt à ce qu’on l’accepte.
Ce n’est pas un hasard si, en français, on parle de ‘données’. Il s’agit de donner, et non de prendre. Les gens donnent quelque chose en échange d’une autre chose, qui a de la valeur. En fait, il vaudrait d’ailleurs mieux que le terme s’inspire du verbe ‘prêter’, pour une période et un usage définis.
Avant, le boucher de quartier en savait long sur ses clients et cela ne posait aucun problème. Il ne se rendait cependant pas chez l’assureur du coin pour lui vendre ces infos. C’est ça le hic !
HB : J’ai demandé à des étudiants ce que la data signifiait pour eux. Ils ont cité l’exemple de ‘Tomorrowland’. Cet événement détient un tas de données, mais ça n’est pas un problème parce que l’expérience est tellement saisissante. Ce qui les dérange outre mesure, c’est que leurs informations soient revendues à d’autres sociétés, et qu’ils n’en soient pas avertis.