Marketing Book: Alexandria de Quentin Jardon

Pour notre rubrique « Marketing Book of the Month », nous avons réuni deux spécialistes de l’Internet : un « vieux de la vieille » et une « petite nouvelle ». Thème de la discussion : les origines et l’avenir d’Internet, à l’occasion de la sortie, voici quelques mois, du livre « Alexandria » de Quentin Jardon.

 

Alexandria

 

« Il faudra encore plus de 30 ans avant que l’Internet n’arrive à maturité »

En mai dernier, le journaliste Quentin Jardon (un des fondateurs du magazine Wilfried), publiait son premier opus. Dans « Alexandria », il mène l’enquête sur le Belge Robert Cailliau, considéré comme le co-inventeur de l’Internet avec Tim Berners-Lee. L’ouvrage relate les premières années du Web tout en formulant des remarques critiques sur l’évolution de ce monde virtuel.

Sa lecture nous a donné l’idée d’organiser une rencontre entre l’un des pionniers belges de l’Internet et l’une des étoiles montantes du digital. C’est ainsi que nous avons réuni à La Hulpe, par une belle matinée ensoleillée, Benoit Lips (fondateur de l’agence interactive DAD, devenue plus tard LBI et désormais membre du groupe Publicis sous le nom de Digitas) et Maha Karim-Hosselet (fondatrice de l’agence MKKM, spécialiste des réseaux sociaux).

Le bruit typique de l’ADSL

Pour Benoit Lips, la lecture du livre « Alexandria » a constitué un véritable voyage dans le temps. « Tout cela, je l’ai vécu, mais je ne m’en souvenais plus », commente-t-il. Au début des années 1990, Lips était chercheur à l’université et fut l’un des premiers à avoir recours à l’Internet en tant qu’outil de communication dans les milieux académiques. « Peu à peu, les marques et entreprises s’en sont emparées, une évolution qui m’a paru intéressante. J’ai alors décidé de quitter le monde universitaire pour me lancer dans l’aventure de l’Internet. Je me souviens des réactions sceptiques de mes parents et beaux-parents à l’époque, mais aussi du retentissement qu’a eu mon premier site Web. Il donnait de la visibilité à une entreprise. J’ai tout de suite compris qu’il y avait là un énorme potentiel. »

Si Benoit Lips a bien sûr entendu parler de Robert Cailliau, il ne l’a jamais rencontré personnellement. Quant à Maha Karim-Hosselet, elle savait que l’Internet avait été inventé par un Belge, mais ne connaissait ni son nom ni son histoire. « Ma première expérience du Web a été le démarrage de la connexion ADSL, avec le typique bruit que cela faisait. Je n’ai donc pas connu les premières années. Pour moi, l’Internet a été tout de suite synonyme d’interactivité. Avec MSN Messenger, par exemple. »

Discerner les « vraies » tendances

L’intérêt de Maha Karim-Hosselet à l’égard des réseaux sociaux s’est imposé comme une évidence. « J’étais curieuse, explique-t-elle. Notre métier est en constante évolution. Nous avons fondé MKKM il y a deux ans et, depuis lors, énormément de choses ont changé : le marché, les outils, les plateformes… »

« Je sais ce que c’est, réagit Benoit Lips. C’était déjà comme ça au début d’Internet. Mais j’ai toujours mis un point d’honneur à filtrer les nouveautés et à étudier comment les mettre en œuvre de façon concrète. »

Cette façon de faire permet évidemment de mieux cerner les vraies tendances. Benoit Lips poursuit : « Les premières années, la construction de sites Web était surtout une question de lay-out, que l’on réalisait sur un autre support. Ensuite est venue la phase de design, et il a fallu maîtriser Photoshop. L’interactivité a fait son apparition à partir de 1998. Flash et Java ont gagné en importance, ainsi que le travail des analystes fonctionnels et des spécialistes du codage. Cette évolution a entraîné la disparition du concept de webmaster. Il n’était plus possible de tout faire soi-même… »

Encore loin d’être mature

Si les réseaux sociaux remontent à un passé beaucoup plus récent, ils ont toutefois aussi connu une nette évolution. « Leur grand avantage, c’est qu’ils associent depuis toujours l’interactivité avec les possibilités de communication pour les marques et le business en tant que tel, considère Maha Karim-Hosselet. À vrai dire, ces réseaux reflètent très bien la vraie vie. »

Lorsque nous interrogeons nos deux interlocuteurs sur l’avenir de l’Internet, Maha Karim-Hosselet évoque d’emblée l’intelligence artificielle et les dispositifs connectés. « La maturité n’est pas pour demain, souligne-t-elle. Je pense qu’il va encore se passer beaucoup de choses dans les 30 prochaines années. Il nous faudra faire de gros efforts pour rester à jour. »

Benoit Lips – qui investit aujourd’hui essentiellement dans des start-ups – s’interroge quant à lui sur ce que l’avenir nous réserve. « On a d’abord eu les forums, puis le Web… À chaque fois, tout le monde a pu apporter sa contribution. Est-ce que ce sera encore le cas dans un scénario où la vidéo remplace de plus en plus le Web ? Et puis, tout évolue si rapidement. Il y a trois ans, Facebook était la référence ; aujourd’hui, c’est Instagram. »

« Je ne partage pas cette analyse, réagit Mah Karim-Hosselet. Nous sommes enclins à nous focaliser sur les nouveaux outils et tendances, mais Facebook reste le réseau social le plus utilisé. Il est important de garder une vue d’ensemble. »

Quels dangers ?

Notre dernière question à Benoit Lips et Maha Karim Hosselet : Le digital va-t-il continuer à évoluer sans accrocs ou des menaces planent-elles au-dessus du monde virtuel ? Il suffit de penser à des phénomènes tels que la brand safety, le scandale de Cambridge Analytica, la viewability…

« Il n’existe aucune instance qui contrôle véritablement l’Internet, et ce peut être un danger, déplore Benoit Lips. Il faut mettre en place un contre-pouvoir face aux GAFA, qui mènent d’ailleurs leurs affaires rondement. Par chance, l’approche au sein de l’UE – avec le RGPD notamment – n’a rien à voir avec ce qui se passe aux États-Unis. Bien que l’on puisse se demander si la bataille n’est pas déjà perdue en Europe… »

« Pour moi, la principale menace vient de l’hyperpersonnalisation, rétorque Maha Karim-Hosselet. Que se passerait-il si un assureur avait accès à toutes les données de ses clients ? Et en ce qui concerne Cambridge Analytica : il faut faire attention aux abus, surtout en matière d’idéologie. »

Et Benoit Lips de conclure : « Sur ce point, l’éducation est cruciale. Nous ne reviendrons jamais à la situation des débuts. Il faut donc éduquer les jeunes pour les aider à évaluer correctement les dangers et les risques. »

 

A propos du rubrique "Le livre de marketing"

Chez BAM, nous mettons tout en œuvre pour inspirer nos membres. À cet effet, nous attirons régulièrement leur attention sur des ouvrages de marketing intéressants en leur proposant des critiques de livres, des comptes rendus de présentations, des synthèses de tables rondes, etc. À la fin de l’année, nos membres peuvent élire le Marketing Book of The Year parmi notre sélection.

 

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