L’égalité de genre en marketing : pourquoi la diversité se joue d’abord dans la tête des gens
Les femmes ont droit au respect et à une parole qui porte : tel est le message que Liesbeth Dillen – devenue elle-même une pionnière dans le domaine grâce aux opportunités qu’elle a reçues chez IKEA – transmet sur des scènes du monde entier depuis 2001. Elle insiste souvent sur l’étroite imbrication entre société, monde du travail et communication, ainsi que sur la quête de connexion : « Think about the other half, but leave no man behind. »
Mieux que personne, Liesbeth Dillen sait exposer ses convictions avec fougue, tout en conservant un sens de la nuance rarement égalé. Elle multiplie les perspectives pour éclairer de façon originale toutes les facettes d’un problème. Quand elle aborde le thème de l’égalité de genre en marketing – et bien au-delà – ses analyses se suivent comme autant de leçons de sagesse.
Des progrès, mais…
« Nous avons déjà accompli énormément de progrès », lance la Business & Leadership Activator, forte de ses vingt-neuf années d’expérience dans des fonctions de marketing de haut niveau chez IKEA et fondatrice de She Works with Wo-men. Son premier constat est résolument positif : la représentation des genres dans les campagnes et la communication s’est améliorée. « Cette avancée se manifeste surtout par une diminution des stéréotypes et s’explique à la fois par une sensibilisation accrue et par des mesures structurelles. » Mais elle enchaîne rapidement avec un bémol, qu’elle associe à un défi majeur – et même à une responsabilité – pour les marques. « La société, malheureusement, recule. Nous assistons clairement à l’essor d’un discours néoconservateur. Des articles du New York Times comme Has liberal feminism ruined the workplace? ou Is it time for conservative feminism? ne sont pas anodins. Alors que plusieurs entreprises américaines ferment leurs départements DEI sous les pressions du politique, ONU Femmes rapporte qu’une organisation sur trois a dû arrêter ses programmes de lutte contre les violences faites aux femmes en raison du tarissement des financements. »
La manière dont les jeunes hommes perçoivent l’égalité de genre en dit également long. « Il y a trois ans, l’Université de Göteborg révélait que 40 % d’entre eux estimaient que des sujets comme l’égalité de genre et le respect envers les femmes prenaient trop de place dans le débat public. Cet été, Ipsos a reposé la même question : 57 % des hommes de 18 à 25 ans partagent désormais cette opinion. Selon eux, on accorde trop d’attention au genre – dans la société, au travail et dans la communication. »
Quelle position les marques vont-elles adopter ?
Ces macro-tendances n’apparaissent pas par hasard. « Quand le monde est économiquement et socialement instable, cette insécurité rejaillit souvent sur celles et ceux qui portent le changement. Si les hommes jeunes ont le sentiment d’être menacés à la fois par la montée en puissance de la digitalisation et de l’IA, et par des femmes jeunes qui ont obtenu de meilleurs diplômes, le pas vers l’idéalisation des tradwives ou des Instagram girls est rapidement franchi. »
Reste à savoir comment les marques réagissent à cette évolution. « Le marketing consiste par nature à percevoir ce qui bouge dans la société, et pourtant les marques prennent encore trop peu position. Veulent-elles surfer sur cette vague de clichés néoconservateurs ? Ou auront-elles le courage de montrer qu’une autre voie est possible et de s’opposer à ce qui, désormais, tend à devenir mainstream ? »
Leave no man behind
Un point essentiel dans l’argumentation de Liesbeth Dillen : il ne peut absolument pas être question de polarisation. Défendre les droits des femmes n’est pas mener une lutte contre les hommes. « Les garçons en colère attirent peut-être davantage l’attention, mais n’oubliez pas qu’il y a surtout de nombreux garçons silencieux – dont certains disent ne pas vraiment savoir ce qu’ils peuvent ou non dire aux jeunes femmes au travail. Avec mon arrière-plan scandinave, résolument constructif, je comprends très bien que l’émancipation des femmes et celle des hommes vont de pair. Leave no man behind. »
Et de poursuivre : « Les hommes aussi sont confrontés à la stéréotypisation. Celui qui n’entre pas dans l’image du macho néoconservateur est rapidement dépeint comme un idiot. On le voit dans les rares spots publicitaires et packagings où c’est le père qui s’occupe du bébé. Des spots qui, en plus, restent cantonnés au niveau de la tâche – papa fait la lessive avec le produit X ou prépare une soupe de la marque Y – et qui ne lui reconnaissent pas un véritable rôle parental. » Un schéma classique qu’il serait grand temps de dépasser.
« Les publicitaires ont là une très belle occasion de faire évoluer ces représentations », souligne Liesbeth. Et en cette époque de défiance généralisée, c’est plus vrai que jamais. « L’Edelman Trust Barometer ne laisse planer aucun doute : les gens ne font plus confiance à la politique ni aux médias et se tournent de manière très explicite vers le monde de l’entreprise. Ils attendent des marques qu’elles s’engagent dans les débats sociétaux, qu’elles apportent de l’espoir, créent du lien et fassent entendre une voix différente. »
Yves Saint Laurent et les relations toxiques
En marketing, il y a toujours des pionniers inspirants, et le cas présent n’échappe pas à la règle. Liesbeth évoque à ce propos un exemple particulièrement parlant : la campagne d’automne lancée l’an dernier par la maison de luxe Yves Saint Laurent : « Dans un climat social de plus en plus rude, la marque a décidé de consacrer une campagne entière à la sensibilisation et à la formation autour des relations toxiques. S’emparer d’un sujet tabou, afficher clairement sa position et contribuer en même temps au changement, voilà ce que l’on peut appeler un signal fort. »
Le lecteur attentif l’aura noté : il est ici question de relations toxiques et non de masculinité toxique.
« Quand j’entends cette association presque automatique mais absurde des deux termes, je monte aux barricades. Car les hommes aussi peuvent être victimes au sein d’une relation toxique. »
AXA en est également consciente : en novembre, l’assureur a lancé une campagne similaire, mentionnant dans son annonce aussi bien les féminicides que les homicides.
Orientation vers les résultats et sens des responsabilités, goût de la compétition et désir de vivre ensemble : une société saine – tout comme une entreprise ou une équipe marketing saine – se caractérise par un bon équilibre entre des valeurs dites « masculines » et « féminines », la masculinité et la féminité étant déconnectées du genre. C’est précisément parce que la culture suédoise était déjà profondément imprégnée de cette vision que Liesbeth a pu, très tôt dans sa carrière, être une pionnière et assumer, en tant que jeune femme, des responsabilités importantes au sein d’IKEA.
Multiplier les perspectives
On entend souvent dire que la diversité dans les campagnes commence par la diversité au sein des équipes. Liesbeth le reconnaît volontiers : des équipes marketing variées conçoivent en général des produits et des messages plus inclusifs. Mais elle ne veut pas entendre parler d’une composition fondée sur des checklists ou des « profils alibis ». « Au-delà de conditions de travail favorables à la vie familiale et de possibilités de promotion, l’essentiel est la diversité dans la manière de penser – lorsque les idées qui circulent dans une entreprise reflètent réellement celles de la société. C’est là que naît l’innovation. »
Le fait de challenger est tout aussi crucial. « Les béni-oui-oui ne font pas bouger les lignes. Une culture d’entreprise saine tolère – et facilite – la contradiction. Ce n’est que lorsque des collaborateurs osent démolir une campagne qu’il devient possible d’imaginer de meilleurs concepts, plus inclusifs. » Dans la même logique, Liesbeth plaide pour moins de points d’exclamation et davantage de points d’interrogation. « Les experts en marketing ont tendance à asséner des certitudes et aiment obtenir une réponse immédiate. Mais ce sont précisément les questions aiguisées qui mènent à des créations plus audacieuses et plus curieuses, fondées sur des valeurs partagées et sur la connexion. »
Mind the confidence gap
L’appel à dépasser le genre ne signifie pas qu’il faille ignorer les différences biologiques ou historiques entre femmes et hommes. Bien au contraire. Un point important en matière de recrutement est, par exemple, le confidence gap. « En général, les hommes postulent plus rapidement à un emploi et paraissent aussi plus sûrs d’eux lors de l’entretien – ce qui, pour être clair, ne dit absolument rien de leurs compétences. Un employeur chargé du recrutement doit en être conscient. »
Les marketers ont eux aussi intérêt à saisir ce genre de mécanismes psychologiques, comme l’a montré une étude de LEGO. « L’entreprise ne comprenait pas pourquoi les filles se détournaient de ses jeux de construction vers l’âge de huit ans – et pourquoi des briques roses n’y changeaient rien. Il s’est avéré que les filles plus âgées aiment toujours autant jouer aux LEGO, mais qu’elles craignent – en raison d’un conditionnement social – que leurs créations ne soient pas parfaites. »
Positif et cohérent
Liesbeth conclut par un plaidoyer contre la tentation de pointer du doigt. « Une position morale ne doit jamais se muer en message moralisateur. La peur et la honte ne mettent rien de fondamental en mouvement. Démarquez-vous, œuvrez au changement, mais d’une manière qui crée du lien et reste profondément humaniste. Et soyez aussi cohérents dans votre marketing et votre communication, car sinon vos parties prenantes le verront immédiatement. »
Auteur : Wout Ectors
Date : 24 novembre 2025